Brésil, ton foot fout le camp – (Chapitre 1: la formation)

A RIO. – Quelles sont les caractéristiques de la formation au Brésil ? – Le Brésilien a un talent inné pour le football. Il l’a appris dans les favelas, sur la plage, les terrains vagues. C’est un peuple issu du mélange des races, heureux, spontané. Notre travail, dans les clubs, est de le transformer en joueur […]
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sambafoot_admin
2014-07-11 06:24:00

A RIO.

Quelles sont les caractéristiques de la formation au Brésil ?

– Le Brésilien a un talent inné pour le football. Il l’a appris dans les favelas, sur la plage, les terrains vagues. C’est un peuple issu du mélange des races, heureux, spontané. Notre travail, dans les clubs, est de le transformer en joueur de football. C’est le challenge de la formation, savoir utiliser ce talent et le rendre compétitif sur les plans tactique, physique et mental.

– Les terrains vagues d’autrefois ne courent plus autant les rues aujourd’hui…

– Et cela influence beaucoup notre action. A Rio, il reste la plage et le futsal. Le futsal est devenu d’autant plus important.

– Les jeunes de talent, d’où viennent-ils ?

– A 95% des classes pauvres, et pas forcément des favelas. Avec le problème, souvent, des carences physiologiques liées à la malnutrition. C’est un problème parce qu’à quatorze, quinze ans, on ne peut pas toujours faire grand-chose.

– Y a-t-il toujours autant de jeunes de talent ?

– Le Brésil est le pays du football. Mais on a toujours cru, à la Fédération, que c’était suffisant. Il n’y a donc pas eu d’effort d’accompagnement. Il n’y a pas eu d’investissement. Ailleurs, comme en Allemagne (l’entretien a été réalisé au lendemain du 1-7 en demi-finale entre le Brésil et l’Allemagne), la Fédération a mis de l’argent pour structurer sa formation. Ici, au Brésil, nos moyens sont limités.

– C’est bien le moment de faire quelque chose…

– ­La défaite a fait mal, il va falloir discuter avec la Fédération. Avec les clubs, il y a une réforme à mener, et c’est la Fédération qui a les moyens financiers pour la mener.

– Le football brésilien souffre d’un exode massif, et de plus en plus jeune, de ses talents…

– Il y a beaucoup de joueurs qui, à dix-huit ou dix-neuf ans, quittent le Brésil. C’est très tôt. Tu n’as alors pas fini ton cycle de formation. C’est trop tôt. Il reste encore des choses à acquérir. Après, beaucoup partent, puis reviennent. Entretemps, ils ont appris, cela fait aussi partie de sa formation. Ils nous reviennent plus forts. Aujourd’hui, le football est un commerce. Il y a eu une transition ces dernières années. C’est devenu un processus. Le joueur est désormais une marchandise dans le contexte économique actuel : il y a de l’argent à se faire, beaucoup d’agents.

– Vous, les clubs, avez-vous les moyens de les retenir plus longtemps ? Cela a été fait avec Neymar à Santos, Thiago Silva chez vous…

– Il y a toujours cette volonté d’essayer de les retenir. D’autant que les clubs ont aujourd’hui plus d’argent. Mais si le joueur veut vraiment partir, on ne peut pas le forcer à rester. Nous ne sommes pas compétitifs avec des clubs européens qui leur proposent la Ligue des champions.

– Est-ce aussi la faiblesse actuelle du championnat brésilien qui ne retient pas ses jeunes de talent ?

– La Ligue des champions, c’est le top mondial. On ne peut pas rivaliser. Les jeunes brésiliens, désormais, regardent tous cette compétition. Et elle les fait rêver. Nous, que pouvons-nous leur proposer ? Notre championnat, la Libertadores… Les joueurs de la Seleçao n’évoluent pas au Brésil, mais disputent la Ligue des champions. Et ça, le jeune le voit bien.

– N’est-il pas possible de mettre en place un contrat qui forcerait le joueur en formation à rester au club plus longtemps ?

– Il y a le contexte économique et je ne vois pas vraiment de solution pour un pareil contrat. Le système est libéral, on ne peut pas lutter contre cela. Le joueur peut toujours partir, nous quitter quand il y a de l’argent en jeu. La Constitution brésilienne nous interdit d’empêcher un joueur de changer de club. Il y a bien la Loi Pelé qui a essayé, mais la Constitution est au-dessus et prime. Nous, en club, on peut orienter, mais si le joueur, qui vient souvent d’un milieu social pauvre, veut partir pour une question d’argent, on ne peut pas l’en empêcher.

– La vente des jeunes talents ne fait-elle pas aussi vivre les clubs ?

– A Fluminense, la formation est importante. Beaucoup d’efforts sont faits dans ce sens. Il y a des structures mises en place, tout un travail de fait. Et il est important, aussi, de valoriser cela. Alors, comme tous les clubs, on vend des joueurs qu’on forme chez nous. Mais ce n’est pas non plus budgétisé, organisé.

– On voit souvent les sélections nationales de jeunes être sacrées championnes du monde (la dernière, les -20 ans, en 2011). Après, ces jeunes n’apparaissent pas en Seleçao. Pourquoi ?

– Il y a un manque de connexions entre les sélections de jeunes et la Seleçao. C’est lié aussi au championnat qui ne les retient pas longtemps. Il y a un problème : ils partent trop tôt et ne prennent pas le temps de devenir plus matures. Ils s’en vont alors qu’ils ne sont pas prêts.

– Quelles solutions proposez-vous pour que les choses aillent mieux ?

– Le point névralgique, c’est la formation des éducateurs. En Allemagne, en France aussi, il y a eu beaucoup d’efforts effectués par les fédérations pour former des entraîneurs pour les jeunes. C’est ce qu’il nous manque ici.

– La technique, c’est ce qu’on a de mieux ici, au Brésil. Mais il est tout aussi important d’avoir des professionnels de qualité pour la formation. Chez nous, très peu ont un diplôme spécialisé et c’est un problème. La CBF (la Fédération brésilienne) devrait donner des moyens pour y remédier. Il faut investir.

– Nous, à Fluminense, pour nos jeunes on essaye de développer les échanges avec des clubs européens, à travers des stages, des rencontres, des matchs. Cela ne peut qu’améliorer notre formation. Le football au Brésil a des joueurs de talent. Nous sommes très forts, mais les autres nations ont su faire ce qu’il faut pour nous rattraper, investir où il faut. Et pas nous. C’est comme si l’on avait plein d’élèves talentueux sans professeurs diplômés à proposer.

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Jui 10, 2014