EXCLUSIF – Juninho: « Cela me laisse inquiet »

A RIO. – On te sent très remonté…– Je parle avec le cœur, je suis comme ça. Quand j’étais joueur, déjà j’étais ainsi, je jouais avec le cœur. J’ai toujours agi ainsi dans tout ce que je fais. Depuis vingt ans, j’ai connu toutes les compétitions, toutes. J’ai gagné des titres, j’ai évolué partout dans […]
par
sambafoot_admin
2014-08-22 10:15:00

A RIO.

– On te sent très remonté…
– Je parle avec le cœur, je suis comme ça. Quand j’étais joueur, déjà j’étais ainsi, je jouais avec le cœur. J’ai toujours agi ainsi dans tout ce que je fais. Depuis vingt ans, j’ai connu toutes les compétitions, toutes. J’ai gagné des titres, j’ai évolué partout dans le monde, j’ai disputé plus de mille matchs officiels, je suis obligé de rester dans le foot, et pas seulement ici, au Brésil. J’ai envie de m’exprimer sur les choses que je vois.

– La Seleção ne se porte pas bien. Pourquoi selon toi ?
– On a toujours eu des talents, des Pelé, des Garrincha, des Gerson, Romario, Dunga, Rivaldo, Ronaldo… mais on ne peut pas gagner s’il n’y a pas, aussi, du sérieux. La culture du jeu est là, mais cela ne suffit plus. Aujourd’hui, tu cours plus de dix kilomètres par match, le jeu est plus compact, c’est tout un groupe qui doit gagner. A chaque fois, on sort nos cinq titres (de champion du monde), mais ça ne fait pas gagner. Les très grands joueurs ne font plus la même différence qu’avant. Il faut une bonne équipe, une bonne préparation.

– Comment as-tu vécu le 7-1 en demi-finale face à l’Allemagne ?
– C’est le pire résultat de toute l’Histoire de la Coupe du monde, et pas seulement du Brésil. Le pire match. C’est une défaite inadmissible. Jamais je n’aurais imaginé, un jour, avoir à expliquer comment le Brésil a pu perdre par ce score. Et comment, ensuite, il a encore perdu 3-0 contre les Pays-Bas (pour la 3e place).
J’ai perdu contre la France (0-1 en quart de finale de la Coupe du monde 2006) et j’ai laissé ma place en Seleção. Or, là, après, on n’a rien vu de tel et cela me laisse inquiet. Je n’ai pas vu une grande équipe, mais j’ai vu des joueurs qui disaient tous la même chose, comme si on leur avait nettoyé la tête.
Il n’y avait pas de commandant dans cette équipe, moi j’ai toujours été un leader, partout. Mais là, ils disaient tous la même chose. Moi, je préfère des gens qui disent vraiment les choses, ce qu’il se passe car c’est ce qui peut faire gagner.

– A t’écouter, il semble y avoir eu un problème de préparation de l’équipe nationale pour cette Coupe du monde…
– On n’a pas su s’adapter à l’adversaire. L’équipe n’était pas préparée ni armée pour réagir à ce que proposait l’adversaire. On n’a pas su le faire parce qu’on n’avait pas travaillé les points forts de l’Allemagne et des autres équipes en face. Et les joueurs ont tout accepté, je n’ai entendu personne après le 3-0 s’exprimer et assumer. La préparation fut catastrophique.
C’était un groupe sans opinion. Tout le monde disait la même chose. Je reviens là-dessus, mais le Brésil aurait dû faire mieux, mais tout le monde semblait satisfait. En fait, il y a eu plus de superstition que de travail. Et l’on a envoyé Bernard dans l’enfer allemand parce qu’on a cru qu’il allait marquer en jouant sur son terrain du Belo Horizonte (la saison dernière, il évoluait encore à l’Atlético Mineiro)… Alors qu’en face, on avait une équipe d’Allemagne qui, elle, était très bien préparée et mettait des buts.
Et pour elle, tout a marché contre le Brésil. Le Brésil n’a pas joué comme il aurait dû le faire : avec trois milieux défensifs et beaucoup d’agressivité. Les Allemands formaient un groupe homogène, ce que le Brésil aurait dû être s’il y avait eu plus de travail de préparation avant. Il aurait déjà fallu mieux observer l’adversaire. Mieux préparer les coups de pied arrêté aussi (le premier but allemand provient d’un corner).
Ensuite, il n’aurait pas fallu accorder deux jours de repos consécutif en pleine Coupe du monde ! Les Allemands, les Néerlandais ne l’ont pas fait. Chez nous, avec la Seleção, il y avait du monde à tous les entraînements, pas de huis clos. On n’a pas vu ça avec les autres grandes nations.

– Tu sembles ne pas aimer Scolari…
– Je sais ce que tu as en tête, tu penses que je lui en veux pour 2002 (il n’avait pas été retenu pour cette Coupe du monde). Mais ce n’est pas ça. Scolari, depuis 2002, il n’a gagné que trois titres, seulement (champion d’Ouzbékistan en 2009 avec Bunyodkor, vainqueur de la Coupe du Brésil en 2012 avec Palmeiras, vainqueur de la Coupe des confédérations en 2013 avec le Brésil).
A Chelsea, il s’est coupé des joueurs et il a été renvoyé du club. Et quand il est parti (février 2009), Chelsea est devenu champion (en 2010). Alors oui, il est champion du monde (en 2002) et je ne le suis pas. C’est quelque chose qui restera. Il n’empêche que ce 7-1 n’est pas normal. Le staff aurait dû mettre tout ça sur le tapis. On nous dit « Pareira a déjà été champion du monde », mais on ne l’a pas entendu.
Le Brésil n’a pas bien joué, et est-ce que quelqu’un, dans l’équipe, l’a dit ? Non. A les entendre, tout allait bien, il n’y avait pas de mauvais match. Felipe et Pareira ont été champions du monde (le premier en 1994, le second en 2002), mais ils n’ont pas eu l’humilité de se dire que la Coupe des confédérations, c’est autre chose. Déjà, c’est une compétition plus courte, ensuite en Coupe du monde il faut être capable de changer de tactique en cours de compétition.
Les Allemands n’ont pas joué de la même manière au début et à la fin du Mondial. Schweinsteiger a commencé sur le banc. Les Brésiliens, eux, n’ont rien changé.

– La Coupe de confédérations gagnée par la Seleção un an plus tôt fut-elle un piège ? Cette victoire ne devant pas être prise au pied de la lettre ?
– Il y a eu tromperie avec cette Coupe des confédérations. Ce devait être un test, mais ce n’était pas la vérité. En une année, toute équipe peut changer. Les joueurs ne sont pas devenus mauvais, ceux qui ont été choisis ne sont pas mauvais. Mais Scolari a commis l’erreur de fermer son groupe. Il n’aurait pas dû le faire.
Il avait ses idées, il a pensé « on est les champions » et il n’a pas eu envie, pas voulu changer. C’est de l’autosuffisance. Entretemps beaucoup n’ont pas joué, combien de fois Neymar, le meilleur de la Seleção, est resté sur le banc avec Barcelone ? Ramires et Fernandinho sont bons, ils ont bien joué pendant la saison, mais ils sont arrivés à court de forme.

– Que penses-tu de la tactique choisie par Luis Felipe Scolari pour cette Coupe du monde ?
– La tactique, aujourd’hui, doit présenter un bloc-équipe, et pour faire ça, il faut être à 100% physiquement. Or, là, il y avait trop d’espaces entre l’attaque et la défense, avec le pauvre Fred esseulé. On a joué en 5-1-4, avec Luiz Gustavo avec sa défense, Oscar qui attaque et le seul Paulinho au milieu alors qu’en face, ils se jetaient tous sur lui. Je n’ai jamais vu cela ! Cela ne marche pas et Scolari ne l’a pas vu, ou pas voulu le voir.

– Serais-tu prêt, à t’investir avec la Seleção ?
– Pas aujourd’hui. Je préfère profiter de mon rôle de commentateur pour dire ce que je vois et ce que je pense, faire passer un message.

– Le football brésilien est-il en crise ?
– Elle est là depuis longtemps, mais elle a longtemps été cachée par les cinq étoiles. Mais là, c’est arrivé chez nous et il n’est impossible de cacher la crise. Beaucoup de choses viennent de la CBF (Confédération brésilienne de football) et si certains veulent l’oublier, il faut le rappeler. Ceux qui disent que tout va bien, ils ne vont rien faire pour changer les choses, ni faire progresser le football brésilien.

– Comment interpréter ces pleurs pendant et après l’hymne national ?
– Les joueurs ont été dominés. Mais je reviens sur ce que je disais avant : Oui je suis très critique en ce moment, parce que ce moment est unique. C’est le moment où changer les choses car il faut changer le football brésilien. Sinon on ne progressera plus et après on ne pourra plus le faire. On ne peut plus dire « on est les meilleurs du monde, on n’a pas besoin d’évoluer ».
J’ai mal en ce moment, on n’a pas un football qui donne confiance, alors j’ai envie de donner un signal d’alerte. Fort. Le Brésil aurait dû être éliminé par le Chili (en huitièmes de finale, 1-1 puis 3-2 tab). Face à la Colombie, ensuite, le Brésil gagne (2-1) grâce à ses deux défenseurs centraux (buts de Thiago Silva et David Luiz). Ce sont eux qui ont marqué.

– Et Fred. Comment as-tu vécu les malheurs de ton ancien coéquipier de l’Olympique de Lyon ?
– Il va déjà devoir récupérer, oublier mentalement la Seleção. Il a tout pour marquer des buts avec Fluminense. En 2006 (Fred avait marqué un but, contre l’Australie), alors qu’il y était avec moi, on attendait de lui qu’il soit aussi fort qu’avec Lyon. Ensuite, il a su revenir en forme et il lui a fallu pour cela une grande force mentale. Là, pour le moment, il doit surtout s’enlever la Seleção de la tête.

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Aout 21, 2014