Brésil, ton foot fout le camp (chapitre 5 : le championnat brésilien)

« S’enlever de la tête que nous sommes les meilleurs » Accroche : Nunes, 60 ans aujourd’hui, était un immense avant-centre dans les années 1970-80. Sacré champion national (trois fois), mondial (une fois) avec Flamengo, il porte aujourd’hui un regard triste sur son football. A RIO.Affable, il dévoile son amitié avec Jean Tigana et Franz […]
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sambafoot_admin
2014-07-16 18:12:00

« S’enlever de la tête que nous sommes les meilleurs »

Accroche : Nunes, 60 ans aujourd’hui, était un immense avant-centre dans les années 1970-80. Sacré champion national (trois fois), mondial (une fois) avec Flamengo, il porte aujourd’hui un regard triste sur son football.

A RIO.
Affable, il dévoile son amitié avec Jean Tigana et Franz Beckenbauer. On le voit commenter les matchs sur Fox Sport, s’apprête à ouvrir une académie de football à Rio de Janeiro. Nunes, grand avant-centre du Flamengo, est resté très actif dans le monde du ballon rond, qu’il n’a pas quitté.

Quelles sont, à vos yeux, les forces traditionnelles du football brésilien ?

La matière première, à savoir les joueurs. Et il y en a des bons ici, au Brésil. On les trouve jeunes, dans les quartiers, sur des terrains pas apprivoisés. Cela a toujours existé et c’est là que naissent les talents. La tendance est actuellement moins vraie, on a un peu perdu ça. Les clubs se préoccupent moins d’aller les chercher, ils leur préfèrent des joueurs ayant déjà une valeur marchande, qu’ils pourront ensuite plus facilement placer. Beaucoup iront ensuite en Europe.
Il n’y a plus ce lien fort avec les jeunes des quartiers. Le Brésil doit le retrouver, c’est la base de son football. Pour cela, il faut reconstruire un réseau de dénicheurs de joueurs, avoir des relais. Moi, c’est ainsi que j’ai été recruté, alors que j’étais à Feira de Santana (Bahia).

Cette perte de repères avec la base nuit-elle au style de jeu brésilien ?
Chaque pays possède son style de jeu, et on ne peut pas le lui prendre. Le Brésil l’a un peu perdu. Pendant longtemps, pourtant, beaucoup d’entraîneurs étrangers sont venus au Brésil pour apprendre, voir ces talents et découvrir d’où ils venaient, comment on les trouvait. Depuis, à l’étranger, ils ont beaucoup amélioré leur formation, ils ont grandi. Alors que le jeune Brésilien d’aujourd’hui évolue comme les Européens jouaient à cette même époque.
Ils prennent le ballon derrière et balancent de longs ballons vers l’attaque, loin devant. Ce n’est pas cela, le jeu brésilien, mais c’est ce qu’on a vu à cette Coupe du monde. Le football, c’est autre chose, une grande équipe n’a pas le droit de procéder de cette manière. Tactiquement, il y a autre chose à faire, c’est un sport collectif, où tu dois prendre le dessus avec des passes. Il faut demander le ballon, créer des espaces, des notions qu’on a perdues. Même si le foot a changé, c’est toujours vers ça qu’il faut tendre.

Quand vous étiez joueur, c’était si différent ?
A l’époque, on travaillait plus le collectif. On doit d’abord s’enlever de la tête que nous sommes les meilleurs au monde. Il y a désormais d’autres nations qui pratiquent le football aussi bien que nous. A nous de retrouver la confiance dans notre jeu qui nous habitait autrefois. On a perdu notre personnalité, il y a une perte d’assurance dans notre savoir-faire. Le système économique, les lois Zico et Pelé aussi, portent d’ailleurs préjudice aux clubs.
Cela favorise plus les agents. Quand tu as un diamant, c’est désormais difficile de le retenir. Les clubs n’ont plus le dernier mot et ce n’est pas bon pour notre championnat. Il faut annuler ces lois, sinon nos stars et nos meilleurs jeunes vont continuer à partir. Au détriment de notre football.

L’identité du jeu brésilien s’est-elle perdue ?
Je ne l’ai pas vue lors de la Coupe du monde. Il avait disparu. Ça a été prouvé puisque les résultats n’étaient pas là. Alors qu’ils devaient être là. Le nécessaire n’a pas été fait. Les Allemands, eux, étaient préparés, fixés sur leur objectif : gagner la Coupe du monde. Il a été atteint. Les Brésiliens avaient le même but, mais il n’y a pas eu de préparation et cela s’est vu.
Je ne les ai pas tant vus que ça s’entraîner, se préparer. Une Coupe du monde, c’est sept matchs, il faut avant tout rester concentrer sur ce qu’on a à faire, ses objectifs. En fait, le Brésil avait surtout des choses à régler en dehors de la compétition. Pour le prochain Mondial, il va falloir travailler.

Cette identité s’est perdue quand ?
Elle a disparu quand les jeunes talents sont partis. Moi je ne comprends pas tous ces jeunes qui partent en Europe. Ils n’ont pas l’expérience internationale nécessaire et ils partent dans des pays qu’ils ne connaissent pas. Ils ne savent pas ce qu’ils font, ils perdent leurs qualités, leurs manières de jouer et ils ne sont pas prêts, pas préparés à disputer autre chose que le championnat brésilien.
Le championnat brésilien, justement, en souffre-t-il ?
C’est l’un des championnats les plus disputés au monde. Il y a là assez de joueurs pour constituer deux ou trois sélections nationales. Encore faut-il retenir ceux qui sont le plus en forme, les mieux préparés de la compétition. Je ne suis pas sûr non plus qu’il soit bon d’aller préparer une Coupe du monde en dehors du pays.
Pour la Coupe du monde 1970, la Seleção avait disputé ses matchs de préparation contre des sélections régionales. C’est important pour l’identité du jeu. Je le répète : chaque pays a sa manière de jouer et il ne faut pas la changer. Ce qu’il faudrait, aussi, c’est créer des postes d’entraîneur spécifiques aux avants-centres. Cela existe bien pour les gardiens, pourquoi ne pas le faire pour les attaquants ? J’aimerais être l’un de ceux-là.

Le niveau du championnat national était bien meilleur à votre époque, dans les années 1980…
L’unique différence avec aujourd’hui, c’est que le foot est plus rapide. Mais avec Flamengo, à l’époque, on savait ce qu’on faisait avec le ballon. On avait beaucoup d’entraînements collectifs, avec des jeux de passe, des attaques placées. Pour répondre à une situation donnée, on savait comment s’y prendre. Mais si la matière première n’existe plus, si les jeunes partent trop tôt, si en plus cette matière première n’est pas exploitée par les clubs, si on ne va plus les chercher comme autrefois, alors c’est vraiment difficile.

Flamengo avait battu Liverpool (3-0) en 1981, en Coupe intercontinentale. Aujourd’hui ce serait impensable. Pourquoi ?

Il faut plus travailler le physique, le marquage, le schéma tactique. Si j’avais vu David Luiz devant, à côté de moi (Nunes était avant-centre), je lui aurais demandé ce qu’il faisait là ! Chacun sa fonction sur le terrain.

Comment voyez-vous l’avenir du Brasileirão ?
Ça me préoccupe beaucoup. Il va falloir travailler, et commencer vite. Le football a besoin de stabilité avec ses entraîneurs. Si tu en changes dès qu’il perd deux ou trois matchs, il ne peut pas travailler sur la durée et ce n’est pas bon. Il faut repenser ça, que les dirigeants accordent leur confiance sur du long terme. Un entraîneur a besoin de confiance, de tranquillité.
Le football brésilien doit mieux supporter ses entraîneurs. Il faut bosser avec des joueurs et des coachs qui viennent là pour rester, ne sont pas des aventuriers. Il faut une autre vision des catégories de base, les jeunes. C’est là-dessus que les clubs doivent s’appuyer.

Un jeune qui quitte le Brésil est souvent perdu pour le football brésilien. Et les deux sont ainsi souvent perdants…
Oui, alors il faut revoir la loi Pelé. Les jeunes ne devraient pas partir si tôt en Europe. Ce sont des diamants qui n’ont pas eu le temps d’être taillés à la brésilienne. Ils ont encore besoin d’être couvés. Ce n’est pas bon pour eux, pas bon pour le club, pas bon pour le championnat brésilien, pas bon pour le football brésilien. Ils perdent leurs liens avec leur identité de jeu parce qu’ils n’ont pas fini d’être formés.
Leur style n’est pas forgé. Ils n’ont pas encore une parfaite maîtrise de l’ABC du football : dominer le ballon, donner le ballon, tirer. Et il le faut comme on le pratique ici, au Brésil.

En 1978, avec la Seleção, vous aviez joué, et gagné contre l’Allemagne (1-0 à Hambourg). Vous aviez marqué le but vainqueur. Comment avez-vous vécu le 1-7 de cette demi-finale de Coupe du monde, face à l’Allemagne ?
Cela faisait dix ans qu’on n’avait plus perdu contre l’Allemagne. Au football, ce sont des choses qui arrivent sur le terrain. Ce Brésil s’est montré désarticulé, il n’était pas prêt, pas préparé. Il aurait même dû se faire sortir face au Chili (en 8es de finale, 1-1 puis 3-2 aux tirs au but). Avec ce match (demi-finale), tout Brésilien est triste. Mais on est conscient que ce n’était pas une bonne sélection.
Quel sélectionneur voyez-vous pour prendre la suite de Scolari ?
Je ne vois pas, aujourd’hui, un entraîneur brésilien en exercice prendre la suite de Scolari. Je mettrais Zico, avec des gens comme Leonardo et Rai dans le staff technique. Ce sont des joueurs qui ont une autre culture, une autre vision du jeu. Falcão aussi. Un étranger ? J’aime bien Guardiola, ce qu’il a fait avec Barcelone irait bien avec le football brésilien.

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Jui 16, 2014